Saint-Guénolé - Penmarc'h : un bateau fantôme retrouvé au large de la Bretagne

Au cœur de l’hi­ver, le canot tous temps Prince d’Eckmühl a pris en remorque et sécu­risé la coque d’un voilier aban­donné, qui a dérivé pendant trois mois sur plus de 1 200 kilo­mètres en Atlan­tique nord.

Le skipper du Heidi a été secouru par un pétrolier en Atlantique nord. Son bateau a dérivé de longs mois avant d'être retrouvé en Bretagne © Ma bro du 29

Une épave. C’est une véri­table épave qu’a rame­née, le 30 janvier, au port de Saint-Guénolé (Finis­tère), le canot tous temps SNS 083 Prince d’Eckmühl. Tout commence à 11 h 39, lorsque le chalu­tier L’En­fant des Flots signale au centre régio­nal opéra­tion­nel de surveillance et de sauve­tage (CROSS) Corsen (Finis­tère) la présence d’un voilier démâté en baie d’Au­dierne, à 13,8 milles nautiques du séma­phore de Penmarc’h. Sans personne à bord, l’em­bar­ca­tion, en triste état, semble avoir passé beau­coup de temps en mer. Maigre indice : elle arbore le nom Heidi. Le CROSS Corsen déroute le patrouilleur hautu­rier Iris, en mission dans les envi­rons, pour inves­ti­ga­tions. Il engage aussi le SNS 083 de la station de Saint-Guénolé – Penmarc’h afin de remorquer en lieu sûr l’épave, dange­reuse pour la navi­ga­tion. Paral­lè­le­ment, il inter­roge les ports du secteur qu’au­rait pu fréquen­ter ce voilier. Sans résul­tat. Car il vient, en fait, de très loin. L’Iris arrive sur les lieux à 13 heures, bien­tôt rejoint par le Prince d’Eckmühl. Le premier met une embar­ca­tion semi-rigide à l’eau pour inspec­ter l’épave. Ni substances illi­cites ni traces de migrants à bord. Seul indice pour iden­ti­fier le Heidi, son numéro MMSI (mari­time mobile service iden­tity). Neuf chiffres propres à tout émet­teur radio mari­time numé­rique. L’Iris passe le relais à la SNSM pour la suite des opéra­tions, après avoir assuré, avec son semi-rigide, le trans­bor­de­ment de deux sauve­teurs sur le Heidi pour le remorquage.

1 700 kilo­mètres à la dérive

De leur côté, les person­nels du CROSS Corsen pour­suivent les inves­ti­ga­tions. En faisant des recherches via le numéro MMSI, ils entrent en contact avec leurs homo­logues norvé­giens de Stavan­ger. Ces derniers les informent que le Heidi a fait l’objet d’une opéra­tion de sauve­tage trois mois aupa­ra­vant, le 2 novembre, par 46 degrés 56 minutes nord et 20 degrés 34 ouest. Soit en plein océan Atlan­tique, à plus de 1 800 kilo­mètres au sud de l’Is­lande et à plus de 1 700 kilo­mètres à l’ouest de la pointe sud de la Bretagne ! Le sauve­tage de son unique occu­pant a été géré par le centre britan­nique de Falmouth, l’un des plus actifs au monde, dont la zone d’in­ter­ven­tion couvre une bonne part de l’At­lan­tique nord. Une histoire incroyable. Pris dans la tempête Ciaran au milieu de nulle part, ce ketch de 14 mètres avait perdu ses deux mâts et prenait l’eau, hors de portée des héli­co­ptères. Le navire le plus proche, un pétro­lier, était à vingt heures de route. Il avait dévié de son itiné­raire pour sauver le navi­ga­teur, tandis que des avions s’étaient relayés pour qu’il garde le moral… et s’as­su­rer qu’il était toujours à bord, car le risque pour qu’il soit projeté à la mer était réel. Le bateau, sans occu­pant, avait depuis dérivé jusqu’au large de la Bretagne. 

« On a l’im­pres­sion qu’il a été roulé par les vagues » 

« Il faisait beau, mais nous ne savions pas vrai­ment ce que nous allions trou­ver. J’ai donc consti­tué un équi­page très complet. En fait, nous avons remorqué le Heidi sans diffi­culté jusqu’à Saint-Guénolé, précise Chris­tian Caou­dal, patron du Prince d’Eckmühl. Nous avons alors mis le bateau en sécu­rité et, avec notre moto­pompe, vidé l’eau qu’il avait embarquée. Nous avons préféré le faire à terre plutôt qu’en mer car il n’y avait pas de danger immi­nent. » Que va deve­nir cette épave ? « Tout est à refaire, seule la coque a l’air d’être en état, note Chris­tian Caou­dal. Mais on a l’im­pres­sion que le voilier a été roulé par les vagues. » De fait, même la timo­ne­rie semble être à recons­truire, certains de ses éléments étant défor­més. Son proprié­taire, qui a l’in­ten­tion de venir voir le bateau, en déci­dera. 

Nos sauve­­teurs sont formés et entraî­­nés pour effec­­tuer ce type de sauve­­tage. Grâce à votre soutien, vous les aidez à être présents la prochaine fois !

Même dans une situation critique, restez à bord le plus longtemps possible

« Ce marin était équipé d’une balise de détresse indiquant sa posi­tion et savait l’uti­li­ser, ainsi que sa VHF », explique sur le site Inter­net du centre de sauve­tage de Falmouth le comman­dant Tom Barnett, qui a coor­donné les opéra­tions de secours. Ces moyens nous ont permis de suivre sa posi­tion et son état de santé. Cela montre aussi l’in­té­rêt d’un travail d’équipe avec d’autres struc­tures, sans lequel le résul­tat de cette mission aurait pu être très diffé­rent. »

Dans une situa­tion critique au milieu d’une mer démon­tée, le skip­per du Heidi a eu de bons réflexes. Il est resté à bord aussi long­temps que possible, même si le bateau de 14 mètres prenait l’eau, car il reste plus visible qu’un canot de survie dans le blanc des vagues défer­lantes. Il était aussi plus facile pour le naufragé d’y mani­fes­ter sa présence. L’homme a su égale­ment renon­cer à son navire quand le pétro­lier l’a rejoint, le lais­sant à la merci des flots.

Les navires à la dérive ne sont pas si rares près des côtes, que ce soit par défaut d’amar­rage ou malveillance. Plus rares sont les bateaux volés ou aban­don­nés « après usage » par des trafiquants, ou des voiliers de courses en soli­taire dont le skip­per est tombé à l’eau ou a été récu­péré dans son canot de survie après avarie majeure. Enfin, certaines ONG évaluent à une dizaine le nombre de cargos ou autres gros navires profes­sion­nels errant sur les mers sans équi­page, le plus souvent après rupture d’une remorque dans le mauvais temps sur le chemin d’un chan­tier de démo­li­tion. Ils finissent géné­ra­le­ment par couler ou s’échouer sur une côte.
 

Équipage engagé

Canot tous temps
SNS 083 Prince d’Eckmühl

Patron : Chris­tian Caou­dal 

Sous-patron : Gilles Char­lot 

Chef méca­ni­cien : Bruno Bolzer 

Second méca­ni­cien : André Le Floc’h 

Équi­piers : Éric Bariou, Chris­tian Boen­nec, Pascal Char­lot, Loïg Le Guya­der, Stépha­nie Taco­net
 

Article rédigé par Domi­nique Malé­cot